Le froid s’était définitivement installé au Fort Belvédère. L’air vif, presque tranchant, s’infiltrait dans chaque recoin, mais à l’intérieur, l’activité battait son plein, vibrant d’une chaleur tout humaine. Des éclats de voix résonnaient, des pas précipités traversaient la cour pavée, et les préparatifs pour le grand départ s’intensifiaient. Dans les esprits, une date résonnait avec une solennité toute particulière : le veille de Noël. Ce jour marquerait le point de non-retour pour les aspirants de la Kumpania, le moment où ils prêteraient serment pour devenir Marcheurs à part entière.
L’excitation s’était accrue il y a quelques jours, lorsque les Medicis avaient fait une annonce éclatante : la veille de la transaction, une grande fête serait organisée à l’Auberge de Cristal pour célébrer cet événement historique. Dès lors, le bastion, déjà en effervescence, avait vu affluer des personnalités de renom. Parmi elles, Agripinna Farina, la redoutable représentante de la guilde des marchands de Florence, et le Prieur Savonarola, au regard perçant, sans oublier la noble famille des Albizzi, dont la simple présence imposait le respect. Pour beaucoup, le bastion n’était plus seulement un lieu de transit : c’était là que se jouait l’histoire, en suspens, prête à fondre son regard acéré sur les événements à venir.
Dans cette frénésie, la sécurité devenait une préoccupation de premier ordre. La Main Rouge avait envoyé un chevalier, Némésio Riccardi, pour veiller à l’ordre, désormais installé dans ses quartiers au cœur du bastion. Bien que sa présence ne réjouît guère ni Maître Di Falcone, ni vous-même, force était de reconnaître que l’homme se montrait mesuré, loin de l’arrogance des Servants Écarlates que certains avaient déjà croisés. Sa tempérance apportait une note de calme au milieu des discussions animées et des décisions pressantes à prendre.
Au crépuscule, une agitation nouvelle vous interpella. Anne, l’Ancienne des Veilleurs, fit irruption dans l’Auberge de Jacomo, une lettre froissée entre ses doigts crispés. Elle jura entre ses dents : « Cet outre à vin de Paracelse aura ma peau ! ». Après avoir balayé la salle du regard, elle s’approcha de la table où quelques Anciens partageaient un repas avec votre aurige, Andreas.
D’une voix grave, elle s’adressa à l’assemblée, pesant ses mots : « Les nouvelles ne sont pas bonnes. Paracelse, notre praticien destiné à représenter les alchimistes lors du premier voyage, a été arrêté à Sienne. Une joute alcoolique malheureuse dans une auberge. La guilde a fait jouer ses relations et le gonfalonier de justice est prêt à le libérer, à condition que les Marcheurs garantissent son bon comportement au sein des bastions. Nous n’avons pas le choix. Quelqu’un doit aller le récupérer. Mais avec l’état des routes, cela signifie deux absences à combler. Qui ira à Sienne ? Et qui remplacera Paracelse ici ? ».
Le silence tomba sur la salle, chaque regard s’échangeant un poids invisible. Ubaldo, le marchand, proposa de solliciter les mécènes de la caravane, en particulier Cosme l’Ancien, autrefois versé dans les arts de la médecine. Sa suggestion était pragmatique, mais impliquait d’accorder davantage de pouvoir aux Medicis, un compromis qui laissait un goût amer à certains. Anne, de son côté, se déclara prête à encadrer les métallurgistes, tandis que la question des Scienpathes restait en suspens.
Puis, Caterina prit la parole à son tour et se leva : « J’irai à Sienne. Je voyage vite et seule, et je suis la plus facilement remplaçable ici. Ubaldo doit rester pour négocier, Saskia est notre guide spirituel, et Anne, notre seule Veilleuse. »
Son ton était assuré mais vous perceviez, sous cette résolution, un sacrifice douloureux. Lorsque Andreas prit la parole, son regard se posa uniquement sur elle, chargé de gratitude et de respect. « Caterina, je sais ce que cette mission te coûte. Ton absence nous privera d’une force précieuse, mais demain, nos chemins se croiseront à nouveau. Tu es la meilleure pour ramener Paracelse. Tâche de lui inculquer un peu de bon sens sur le chemin. »
La décision prise, l’atmosphère se détendit légèrement. Andreas fit signe à Maître d’Arques de lui apporter une bouteille de son meilleur cru. S’emparant des verres, il se dirigea d’un pas ferme vers la table que les Medicis occupaient souvent. Cosme l’Ancien, l’air affable, l’invita à s’asseoir, un sourire aux lèvres, comme s’il n’était pas tout à fait étranger aux récents événements.
Les heures passèrent et, peu à peu, la vie reprit son cours au bastion. Quelques jours plus tard, Caterina présenta Alessio, le Cerbère qui la remplacerait en son absence. Peu loquace, mais méthodique, il imposa rapidement une rigueur nouvelle parmi les membres les plus récents, laissant entrevoir une autorité calme mais indéniable, capable de maintenir l’ordre et la sécurité au sein de la Kumpania.
Ainsi, dans cette brume hivernale, chaque pièce se mettait en place. Le grand départ se profilait à l’horizon, et le fort, cœur battant de l’histoire, attendait de vibrer au rythme des événements à venir.