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À l’auberge de la Coupe de Cristal, une douce lueur émanait de la cheminée, projetant des ombres dansantes sur les murs de pierre. La soirée s’annonçait chaleureuse, contrastant avec le froid mordant de ce début de décembre.

Anne, l’Ancienne des Veilleurs, entra, se débarrassa de sa pelisse et l’accrocha soigneusement avant de s’installer à une table d’angle où un échiquier l’attendait déjà. Sa stratégie sur le plateau reflétait sa philosophie de vie : chaque pièce majeure était un atout précieux, chaque mouvement mûrement réfléchi. Ses yeux, perçants et sages, scrutaient l’échiquier, anticipant les réactions d’un adversaire imaginaire.

Caterina, l’Ancienne des Cerbères, la rejoignit peu après. Sa posture assurée et ses gestes vifs témoignaient de son expérience. Elle s’assit en face d’Anne, un sourire en coin illuminant son visage. Autour d’elles, l’atmosphère était empreinte de respect et de curiosité : les deux femmes étaient des figures emblématiques de la Kumpania.

Le jeu commença, les enveloppant dans une bulle de concentration qui les isolait des bruits festifs de la taverne. Dans cet espace hors du temps, seul le cliquetis des pièces et le crépitement du feu dans la cheminée rythmaient leur duel. Caterina, adepte d’une stratégie basée sur la force des pions et l’avancée méthodique, grignotait peu à peu le terrain. En capturant un cavalier d’Anne, elle laissa échapper un gloussement narquois.

« Anne, ton attachement à tes pièces majeures est touchant, mais peux-tu réellement porter seule le fardeau de notre veille ? Ne devrais-tu pas reconsidérer ta décision de ne pas former de nouveaux veilleurs ? La charge est trop lourde pour une seule personne. »

Anne redressa la tête, son regard croisant celui de Caterina. Une tension palpable flottait entre elles. « Je fais ce qui est nécessaire, Caterina. Chaque pièce majeure, chaque veilleur a un rôle crucial à jouer. Il ne s’agit pas de quantité, mais de qualité. »

Les deux femmes s’entretinrent ensuite sur l’organisation de la Kumpania, partageant informations et stratégies. Cette habitude, née il y a quelques semaines, était devenue un rituel précieux entre elles. Ce jour-là, leurs discussions prirent une tournure plus grave. Elles évoquèrent les dangers qui menaçaient la Kumpania, les difficultés de ravitaillement et les troubles semés par la Brumaille, une bande de maraudeurs qui sévissaient aux alentours du Fort Belvédère.

« À la fin du mois, nous devons être prêts à affronter tous ces périls » affirma Caterina en avançant un autre pion. « Mais comment souder ces nouvelles recrues ? Elles ne se connaissent que depuis quelques semaines. »

Un éclat vif traversa le regard d’Anne. Une idée lui vint à l’esprit, inspirée de son passé et de son expérience martiale. « Je me souviens d’une troupe de mercenaires qui proposait ses services, il y a de cela une dizaine d’années, lors d’un conflit entre les Sept Cités et Venise. Ces combattants se distinguaient par leur organisation, moins basée sur une hiérarchie stricte que sur la cohésion et la confiance entre ses membres.

Durant ce conflit, la mortalité était si élevée qu’il était nécessaire d’intégrer rapidement de nouvelles recrues. Plutôt que de les soumettre à une discipline militaire rigide, ces soldats de fortune constituaient des petits groupes où chacun connaissait et faisait confiance aux autres. Ces unités combattaient avec une férocité et une solidarité hors du commun. Au lieu de se battre pour un chef ou une cause abstraite, chaque combattant défendait avant tout ses camarades. Les nouveaux venus étaient d’autant plus motivés qu’ils combattaient aux côtés de ceux qu’ils connaissaient et appréciaient. Cette méthode, bien que moins formelle, s’avérait redoutablement efficace, car elle reposait sur la confiance mutuelle et l’engagement personnel. »

Caterina éclata de rire, un son chaleureux et familier chez cette femme au caractère jovial. « Pour l’heure, il ne s’agit pas de Cerbères aguerris, mais de novices à qui il faut apprendre à former une meute. Ton récit pourrait nous être utile, Anne ».

Anne sourit en retour, appréciant l’enthousiasme de Caterina. Toutes deux avaient traversé suffisamment d’épreuves pour comprendre que l’unité et la cohésion ne se forgeaient pas uniquement dans la discipline militaire, mais aussi dans les liens personnels et la confiance mutuelle. C’était une leçon précieuse que l’expérience leur avait maintes fois enseignée.

Elles décidèrent donc de proposer cette idée à Ubaldo, l’Ancien de la caste marchande, chargé de l’intégration des nouveaux membres. Peut-être que cette structure informelle permettrait aux membres de la Kumpania de se souder plus rapidement et de mieux répondre aux défis à venir.

Leur conversation fut interrompue par l’arrivée d’un voyageur. Théobald, représentant local de la guilde Tour et Taxi, reconnaissant Anne, s’approcha d’elle. Après les présentations rapides faites par Anne à Caterina, il lui remit un petit paquet portant le sceau des alchimistes avant de repartir.

Les deux femmes restèrent encore un moment, terminant leur partie d’échecs dans un silence complice avant de se séparer. Alors que l’une prenait sa garde, laissant derrière elle l’auberge, l’autre savourait encore la chaleur de la Coupe de Cristal et le bon vin qui y était proposé.

Dans les jours qui suivirent, Ubaldo présenta le système des « cabots » aux nouveaux venus. Chaque groupe élirait un représentant, afin de faciliter une organisation plus formelle. Cela permettra sans doute à certains de se démarquer à l’avenir et d’envisager, à terme, des responsabilités plus importantes. Ainsi, la Kumpania pouvait espérer trouver en ces unités une force unie et prête à affronter les épreuves à venir. L’hiver s’annonçait rude mais la Kumpania serait prête.