Le voyage avait commencé dans le vent froid de la cour intérieure, là où les pierres de la prison de Bergame avaient retenu tant de cris, de serments et de larmes. Mais ce matin-là, elles ne gardaient plus rien : la Kumpania avait fermé derrière elle une époque. Les portes s’étaient ouvertes sans fracas.
Les Marcheurs avaient négocié la transition, les derniers regards s’étaient échangés en silence. Il ne restait plus qu’à marcher.
Pendant plusieurs jours, ils avaient suivi les routes de la plaine lombarde, contourné les villes trop curieuses, traversé les campagnes lentes sous un ciel d’acier. Puis, peu à peu, la terre s’était élevée, les collines avaient refermé leur étreinte sur eux, et le vent s’était tu.
Les monts Euganéens. Ni trop hauts pour être alpins, ni assez doux pour être champêtres. Leurs pentes sinueuses accueillaient les pas avec une prudence ancienne. Ici, la lumière se filtrait entre les troncs noueux, et les chemins semblaient bouder les cartes, mais les combats étaient loin derrière.
C’est alors qu’un bruit inattendu brisa le rythme du convoi.
Un hennissement bref, comme une note étrangère dans une mélodie connue. Puis, au détour d’un sentier secondaire, une silhouette solitaire apparut, montée sur un cheval noir et nerveux. Un manteau long, un capuchon levé, une main gantée. La messagère ne portait aucune arme visible, aucun insigne militaire. Elle mit pied à terre sans un mot, leva une main dans un geste calme de paix, et parla d’une voix ferme mais mesurée :
« Compagnons de la route, porteurs d’une espérance. Je vous cherchais, et vous m’avez trouvée. »
Elle tendit un pli de cuir, noué par une ficelle et scellé d’un cachet rouge sombre. Gravée dans la cire : la silhouette du lion ailé de Venise, stylisée, presque effacée.
« Ceci est pour vous. La Sérénissime vous adresse ses respects et une invitation. Vous comprendrez. »
Avant même qu’un mot ne soit échangé entre les anciens, Alessandro s’était déjà avancé. D’un pas assuré, sans hésitation, il tendit la main et prit le message à la messagère, comme s’il acceptait une charge.
Un silence suivit. Rien n’était dit. Mais certains regards se croisèrent.
Des sourcils se froncèrent.
Puis la messagère s’effaça. Aucun mot de plus. Aucune explication.
Comme si tout ce qui devait être dit se trouvait dans les marges de son silence.
Alessandro fit mine d’ouvrir la missive, mais au final, c’est vers Anne qu’il se dirigea pour lui tendre le message. Anne examina le sceau puis hocha la tête pour confirmer son analyse du sceau avec Alessandro, qui répondit par l’affirmative. Anne ouvrit le message pour le lire à la Kumpania.
Message :
À ceux qui cheminent entre les cités, porteurs d’une volonté nouvelle,
La République de Venise, fidèle à son héritage d’équilibre et de mesure, a reçu avec honneur l’annonce du Ban proposé par les Frères de l’Épée. Nous saluons l’audace de celles et ceux qui, en des temps incertains, cherchent encore à réunir les voix dispersées d’Occident.
Il est toutefois nécessaire, pour des raisons qui dépassent les murs du Palais des Doges, que nous renoncions à accueillir officiellement ce rassemblement sur notre sol. Certaines forces, que nul ne nomme mais que tous reconnaissent, rendent toute réception formelle impossible sans mettre en péril l’harmonie que Venise s’efforce de maintenir.
Dans un souci de conciliation, nous avons pris l’initiative de faire préparer un lieu de rencontre sur le chemin de Padoue, aux confins de nos influences. Un village ancien, sanctifié par la présence des bénédictins, offre le silence nécessaire à la réflexion et à l’entente, loin du tumulte des chancelleries.
Vous y serez guidés et reçus avec le respect dû à ceux qui portent encore la flamme du dialogue. La voie y est ouverte, à condition que l’on sache lire ce qui ne peut s’écrire, et entendre ce que l’on ne peut dire.
Que le silence devienne langage et refuge.
Pour la Sérénissime,
En la main de son Conseil Restreint,
Francesco Bembo
Scribe-major de la Secrète
Il fut simplement décidé de continuer. Un guide viendrait.